Le monde d’emploi #1 L’entretien d’embauche

 

Quelque temps après avoir obtenu un Master et intégré un poste qui m’attendait bien au chaud, j’ai rendu mon tablier pour cause de non-affinité avec mon job. J’ai repris des études et, une fois mon nouveau diplôme obtenu, j’ai eu le plaisir de découvrir ce que j’avais évité jusque-là : les entretiens d’embauche. Les Internets fleurissent de conseils à destination des candidats en la matière : « Comment préparer son entretien d’embauche ? », « Entretien d’embauche : Top 10 des erreurs à éviter » … Les étudiants sont entraînés à l’exercice et Pôle emploi propose même un simulateur d’entretien à distance dans lequel l’objectif est d’obtenir le score le plus haut possible. Cela porte le nom de « Serious Game ». « Game » pour l’aspect ludique évidemment (on se croirait presque dans les Sims grâce à la création d’un avatar et de ses caractéristiques), et « Serious » parce que, tout de même, ça reste ta vie que tu joues.

Clairement, je n’aime pas les entretiens. De nature réservée, je suis plutôt le genre de personne qu’on découvre avec le temps, dont les qualités se dévoilent peu à peu, mais me demander de performer dans un environnement étranger, en moins d’une heure, devant des recruteurs qui me regardent de haut… J’ai rapidement compris que l’objectif pour moi allait être de sauver les meubles. Je me suis penchée sur ces fameux conseils qui inondent le milieu des jeunes actifs et des chômeurs. Certains semblent d’une évidence affligeante quand d’autres me laissent perplexe. Tour d’horizon de certaines de ces préconisations :

 

Se renseigner sur l’entreprise avant l’entretien d’embauche

Alors oui, évidemment, il est préférable de savoir si la boîte dans laquelle vous postulez vend des assurances ou bien des armes, rien qu’à titre d’information, mais la question « Pourquoi avez-vous postulé dans notre entreprise ? » est l’une des pires. Entre nous, que l’on soit chômeur ou jeune diplômé, le plus important est de trouver un travail. Cette candidature est très certainement un grain de sable dans le désert des tentatives avortées de décrocher un entretien, et la réponse « Parce que ma cousine m’a dit que vous payiez bien » est déconseillée, alors on fait comme si on voulait absolument travailler dans cette entreprise et pas une autre, on apprend quelques détails de l’historique trouvé sur le site internet, les valeurs principales, et on se débrouille avec ça.

« J’ai toujours nourri un profond intérêt pour les rouleaux d’essuie-tout alors, lorsque j’ai vu votre offre, je me suis précipitée. J’étais d’ailleurs dans le public lorsque vous avez remporté les olympiades des motifs bicolores. Quelle journée ! »

Bien sûr, il arrive que l’on tombe sur une entreprise dont l’activité nous parle, sur un poste qui  nous correspond parfaitement. Parfois. Rarement. Le reste du temps, il s’agit juste de faire croire que. Car finalement, le besoin d’argent l’emporte sur le reste. 

 

Etre excessivement préparé, mais naturel 

Pas question de se rendre à un entretien les mains dans les poches ! Après avoir noirci 20 pages de carnet avec des informations sur l’entreprise, il faudra aussi anticiper les questions qui seront posées, choisir quelles qualités mettre en avant et quels faux défauts admettre avec une humilité feinte. Il sera nécéssaire de préparer votre discours en mettant en avant vos expériences, vos compétences, vos attentes -seulement celles concordant avec l’entreprise, évidemment-, travailler votre diction, gribouiller un texte en anglais, au cas où… Mais attention, le jour J, il sera primordial d’avoir l’air naturel et détendu, ce qui est un jeu d’enfant lorsque l’on pense simultanément à sa posture, son débit de paroles, que l’on prend garde à regarder le recruteur dans les yeux, mais pas trop, que l’on se demande si tous les points importants ont bien été cités, et que l’on espère que deux auréoles ne se sont pas invitées sous nos bras, ce qui serait éliminatoire d’après l’un des nombreux articles lus pour se préparer. Tout ça pour sortir du rendez-vous avec l’impression d’avoir vécu une finale de Top Chef et rentrer chez soi attendre une offre qui n’arrivera pas. Si vous aviez suivi le conseil sur la médita-sophrologie avant l’entretien, peut-être l’auriez-vous eu ce job…

 

Ne pas mentir, mais « se vendre »

Inutile d’affirmer parler 6 langues ou maîtriser une technique pointue si ce n’est pas le cas. Ces informations sont facilement vérifiables, et si sur un malentendu ça peut marcher, mieux vaut ne pas jouer avec le feu. En revanche, pour ce qui ne peut pas se vérifier… rien n’empêche de broder légèrement autour de la réalité. C’est même conseillé pour les personnes au parcours « atypique ». L’important ne sera pas tellement ce que vous dites, mais comment vous le dites. Le langage du monde de l’entreprise, ou comment pimper votre CV et vos expériences avec un joli vernis.

« Je vois qu’il y a un trou d’un an dans votre CV juste après la fin de vos études. Vous avez eu des difficultés à trouver un emploi ?

– Pour tout vous dire, en sortant de l’école, je ne me sentais pas assez mûre pour intégrer tout de suite le monde du travail, j’étais pleine de doutes. Je ne voulais pas risquer de faire du tort à une entreprise qui aurait été assez charitable pour me donner ma chance. Alors, plutôt que de me lancer dans la recherche d’emploi, j’ai préféré partir à la recherche de moi-même. J’ai fait une retraite silencieuse dans les montagnes et, une nuit glaciale de pleine lune, lorsque, transie, j’ai croisé le regard d’un loup majestueux qui passait par là, j’ai  compris. Dans ses yeux, je me suis enfin trouvée. J’ai su, dès cet instant, que je voulais consacrer ma vie à l’analyse statistique.

– Quelle expérience inspirante ! Vous permettez que je la partage sur Linkedin ? » 

Si vous réussissez à placer le mot « résilience », c’est un point bonus.

Quel est votre pire défaut ?

 

Poser des questions, mais pas celles qui vous importent réellement

Il est, paraît-il, bien vu de se montrer curieux lors d’un entretien d’embauche. Nombre d’articles vous conseillerons de ne pas lésiner sur les questions. Cela peut se comprendre car il est naturel que la personne en face de vous sente que le poste vous intéresse réellement, même si ce n’est pas le cas. Seulement, ces mêmes articles vous diront également d’éviter certains sujets tels que les congés, les horaires flexibles ou encore le salaire. Evidemment, il ne faudrait surtout pas passer pour une feignasse cupide. De toute façon, aujourd’hui, tout le monde sait bien que l’argent ne fait pas le bonheur, que les congés ne sont pas faits pour être utilisés, et que l’équilibre entre travail et vie privée est un concept surcoté tout juste bon pour les islamo-gauchistes. Non ? Et puis bon, comme je l’écrivais plus haut, la négociation salariale est devenue désuète, le principal étant de trouver un emploi.

« Quelles sont vos prétentions salariales ?

– Si l’on prend en compte mes diplômes et expériences, ainsi que le salaire moyen dans le secteur, je pense que 2000€ bruts est une bonne estimation de ma valeur sur le marché.

– Vous avez un profil très ordinaire et ne parlez même pas le mandarin. C’est pourquoi nous sommes surpris que vous osiez réclamer une telle somme. Nous vous conseillons, si vous travaillez pour nous, de faire preuve de davantage d’humilité. C’est 1500€, à prendre ou à laisser. J’imprime le contrat ?

– Oui. Merci. »

Vous n’allez quand même pas chipoter. Après tout, ça y est, vous avez trouvé un emploi. Heureux ? 

 

Le trait est peut-être grossi. Certains conseils sont peut-être valables. Certes. L’ennui, c’est que l’entretien d’embauche est devenu un business lucratif se gargarisant des difficultés rencontrées par un grand nombre de personnes, le pire étant la leçon à retenir : il faut performer, se travestir, enjoliver la réalité… Et si ça ne marche pas, si vous êtes trop stressés, pas assez confiants ou trop sûrs de vous, si vous ne « correspondez pas à l’identité de l’entreprise », n’oubliez jamais que c’est votre faute. Pas celle du marché du travail. Pas celle des employeurs tout puissants. Pas celle des recruteurs pétris de certitudes et d’arrogance. La vôtre. 

Si cet article vous a plu, rendez-vous à l’épisode 2 du Monde d’emploi. Spoiler : le portrait ne sera toujours pas flatteur.

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Cet article a 2 commentaires

  1. Lou.P

    Je trouve que tu as intégralement raison !
    Aujourd’hui, puisqu’on en parle de plus en plus mais que ce système ne s’adoucit pas pour autant, j’ai bon espoir que de plus en plus de gens se mettent à refuser ces moments qui nous semblaient jusque-là des passages obligés pour inventer des alternatives… C’est peut-être mon optimisme qui parle, mais j’ai l’impression de voir ça dans plus d’un domaine en ce début des années 2020 !

    1. A. Eyre

      Sans optimisme on n’avance pas 😉 croisons les doigts !