Que s’est-il passé en France depuis la dernière journée des droits des femmes ?

Nous sommes aujourd’hui le 8 mars 2021, journée internationale des droits des femmes. Pour l’occasion, je vous propose, non pas une réduction sur un fer à repasser dernier cri, mais un  aperçu de quelques changements ayant eu lieu en un an. Avant cela, voici un bref historique de cette journée. 

Historique 

La première journée nationale « de la femme » (National Woman’s Day) a lieu en 1909 aux Etats-Unis sous l’impulsion du Parti socialiste. Deux ans plus tard, la première « journée internationale des femmes » se tient, le 19 mars. La principale revendication de cette journée concerne le droit de vote des femmes. 

Le 8 mars 1917, pendant la révolution russe, les ouvrières manifestent afin d’obtenir de la nourriture en quantité suffisante et le retour des hommes de la guerre. Depuis, c’est cette date du 8 mars qui a perduré et a commencé à être célébrée dans tout le bloc soviétique. 

C’est seulement à partir de la fin des années soixante que le 8 mars se démocratise mondialement. En France, c’est en 1982, sous Mitterand, que la journée obtient un statut officiel.

Fun fact

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette journée est, à l’origine, anti-féministe. En effet, étant à l’initiative des socialistes puis perpétuée par les communistes, ce jour international des femmes s’opposait au féminisme bourgeois du début du 20e siècle et représentait, non pas toutes les femmes, mais les femmes prolétaires. Le 8 mars s’inscrivait donc davantage dans une lutte de classe que dans une lutte féministe.

 

Il y a un an avait lieu la « Marche des grandes gagnantes » dans plusieurs villes de France. Elle visait à lutter, entre autres, contre la réforme des retraites, les violences sexuelles, les féminicides, les violences gynécologiques ou encore pour une meilleure répartition du travail domestique. La veille, une marche nocturne féministe et antiraciste se terminait par des jets de grenades lacrymogènes et diverses violences policières, de quoi laisser entrevoir une nouvelle année féconde pour les droits des femmes…  

Que s’est-il passé pour les femmes depuis un an en France ? Pas mal de choses, mais je me limiterai aujourd’hui à évoquer trois sujets qui ont marqué l’actualité : le projet de loi visant à renforcer le droit à l’avortement, l’expérimentation des protections périodiques gratuites et la formation d’un nouveau gouvernement. 

 

Projet de loi visant à renforcer le droit à l’avortement

Aujourd’hui, en France, les personnes enceintes peuvent avoir recours à une IVG jusqu’à 12 semaines de grossesse. A titre de comparaison, ce délai est de 10 semaines pour le Portugal, de 18 semaines pour la Suède et de 24 semaines pour le Royaume-Uni.

En septembre 2020 est publié un rapport indiquant qu’en France, jusqu’à 5000 patient(e)s dépassent le délai des 12 semaines et doivent se rendre dans un autre pays afin de pouvoir entreprendre une IVG. Ce rapport préconise également une série de mesures, dont certaines sont reprises par une proposition de loi déposée au parlement en août 2020. Focus sur trois éléments de cette proposition : 

Suppression de la clause spécifique à l’IVG 

Cette clause autorise les médecins et sages-femmes à refuser de pratiquer une IVG. Elle pose évidemment problème puisque qu’elle est contradictoire avec le droit fondamental à l’IVG. En effet, si aucun soignant n’accepte plus de la pratiquer, difficile de se faire avorter… La suppression de cette clause serait donc une excellente nouvelle, en théorie. Oui, parce qu’en fait, la suppression concernerait uniquement la clause de conscience spécifique à l’IVG, non la clause de conscience générale, qui permet aux médecins de refuser à peu près n’importe quoi, ce qu’ils pourraient continuer à faire, y compris pour l’IVG. L’utilité de la suppression serait donc, tout au plus, symbolique. Néanmoins, les symboles ont leur importance, alors pourquoi pas ? 

Augmentation du délai légal de 12 à 14 semaines

Cette mesure propose deux semaines supplémentaires pour pouvoir se faire avorter. Lorsque l’on considère l’accès de plus en plus difficile à l’IVG, notamment à cause de la fermeture des établissements dédiés*, cet assouplissement semble bienvenu. Le Comité Consultatif National d’Ethique a d’ailleurs déclaré qu’il n’existait pas d’objection éthique à cet allongement. 

*130 centres IVG ont dû fermer ces 15 dernières années, faute de moyens.

Autoriser les sages-femmes à pratiquer l’IVG chirurgicale jusque’à la 10e semaine de grossesse

Si les sages-femmes ont aujourd’hui le droit de pratiquer des IVG, ce droit se limite aux IVG médicamenteuses. Celles-ci sont autorisées jusqu’à 5 semaines de grossesse, ou 7 semaines en milieu hospitalier. Avec la loi, les personnes enceintes auraient donc entre 3 et 5 semaines supplémentaires pour se faire avorter par un(e) sage-femme. Une très bonne nouvelle !

Enfin, si et seulement si cette loi est effectivement promulguée, ce qui n’est pas gagné pour l’instant : la proposition a été refusée par le Sénat le 20 janvier 2021. Elle devait être examinée en deuxième lecture en février par l’Assemblée nationale, ce qui n’a finalement pas pu se faire. En effet, la droite a ajouté tellement de modifications que la lecture du projet de loi en est devenue impossible car beaucoup trop longue…

 

Expérimentation des protections périodiques gratuites

En 2019, la fondatrice de la newsletter féministe Les Glorieuses, Rebecca Amsellem, adressait une pétition à Jean-Michel Blanquer, pétition demandant des protections périodiques gratuites dans l’ensemble des collèges et lycées du territoire afin de lutter contre la précarité menstruelle. 

En mars 2020, le département de Loire-Atlantique annonce que six établissements scolaires, pour commencer, vont installer des distributeurs de protections gratuites dans leurs locaux. Cette initiative est suivie de nombreuses autres à travers la France. Les dispositifs ainsi mis en place sont financés directement par les régions. Parallèlement, le gouvernement annonce vouloir lutter contre la précarité menstruelle en expérimentant la distribution de protections pour les femmes précaires, incarcérées et sans-abri. Fin 2020, il promet 4 millions d’euros supplémentaires de budget pour 2021. 

Récemment, la ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal a annoncé que les protections hygiéniques seront gratuites pour toutes les étudiantes dès la rentrée universitaire de 2021. 

En bref, malgré la lenteur du processus et l’accumulation d’expérimentations à défaut de généralisation, la lutte contre la précarité menstruelle semble en bonne voie. Si cette question peut sembler anecdotique quand on la compare, par exemple, à celle des violences conjugales, elle n’en reste pas moins importante. D’abord car la démocratisation des protections gratuites apporte des améliorations dans de nombreuses vies, mais aussi parce que le sujet des menstruations, trop souvent tabou dans notre société, a pu gagner en visibilité grâce au travail des militant(e)s féministes qui se sont emparé(e)s de ce thème. 

 

Formation du nouveau gouvernement 

En 2017, Emmanuel Macron avait déclaré que les droits des femmes seraient la grande cause de son quinquennat. Le 6 juillet 2020, il forme le troisième gouvernement de son mandat. La brochette de ministres ainsi obtenue est alors considérée par beaucoup comme un bras d’honneur à la cause que notre président prétendait (et prétend toujours d’ailleurs) défendre. Voilà pourquoi : 

Raison n°1 : Gérald Darmanin – Ministre de l’intérieur 

Gérald Darmanin en bref : 

  • Soutient la manif pour tous, contre le mariage des personnes de même sexe
  • Accusé d’abus de faiblesse en 2018 : échange de relations sexuelles contre un logement 
  • Accusé de viol et de harcèlement en 2017 : échange de relations sexuelles contre l’annulation d’une condamnation 

Bon et sinon : il a sorti pas mal de trucs islamophobes, homophobes, sexistes, et il surkiffe la police (la même qui s’en prend aux femmes dans les manifs). 

J’entends déjà les « il faut laisser la justice faire son travail » et autres « innocent jusqu’à preuve du contraire ». Cependant, la justice est faillible. Pour rappel, seulement un dixième des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation. Ce n’est donc pas parce que Darmanin n’a pas été condamné qu’il n’est pas coupable.

Raison n°2 : Eric Dupond-Moretti – Ministre de la justice 

Les affaires citées ci-dessous ont une chose en commun : l’accusé était défendu par notre ministre. 

  • 2010 : acquittement de Jacques Viguier, accusé d’avoir tué sa femme 
  • 2011 : acquittement de Loïc Sécher, reconnu coupable de viol, après 9 ans en prison 
  • 2013 : acquittement de Jean-Louis Muller, accusé du meurtre de sa femme 
  • 2016 : relaxe (c’est comme « acquittement » mais pour les délits) de Karim Benzema pour sollicitation de prostituée mineure
  • 2018 : acquittement de Georges Tron pour viols en réunion 

Je m’interroge sur le message qui doit être compris quand un homme qui défend des supposés violeurs et tueurs de femmes est placé à la tête du système judiciaire. Tout le monde a le droit d’être défendu, c’est vrai, mais pourquoi mettre au pouvoir un type qui défend exclusivement les enflures ? Quelle crédibilité pour la justice ? Celle-là même qui montre ses limites dans chaque affaire de viol médiatisée (dans les autres aussi hein, mais on les voit moins, forcément)… Ah oui, si jamais vous doutiez encore, voici deux citations du ministre de la justice: 

A propos de l’affaire DSK :

« Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une affaire de copains qui s’offrent du bon temps »

A propos du mouvement MeToo :

« Il y a aussi des follasses qui racontent des conneries et engagent l’honneur d’un mec qui ne peut pas se défendre car il est déjà crucifié sur les réseaux sociaux »

Résumons : la question des protections périodiques gratuites qui fait son chemin, un projet de loi avortement plutôt pas mal mais qui aura sûrement été vidé de sa substance avant d’espérer être promulgué, des ministres misogynes… Difficile de dire si l’année a été profitable pour les femmes. On retiendra surtout la lenteur des changements entrepris et la relative inaction par rapport à d’autres problèmes essentiels tels que les violences faites aux femmes. La composition de notre gouvernement empêche d’ailleurs un optimisme sans faille à ce sujet, mais bon, on en reparle dans un an ? 

 

Sources : 1 2 3 4 5 6

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Cet article a 3 commentaires

  1. Lou.P

    Hé ben, j’ai appris plein de trucs.

  2. LN

    Le gouvernement a encore du chemin à faire !

  3. Prissou

    Merci pour ce récapitulatif clair et concis !
    Bilan : à 1h24, au milieu de la nuit, je peste contre la lenteur de la France et nos chers nouveaux ministres qui me donnent envie de vomir !